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Billet de blog 29 juin 2015

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July, forcément July

Début 2015, Serge July publiait un Dictionnaire amoureux du Journalisme dans une collection bien connue. Le volume qui compte 150 articles ne pouvait se lire d’une traite. Nous y avons donc mis le temps, picorant ici et là au fil des jours,  tout en y prenant un réel plaisir. Sur l’univers multiforme de la presse, July donne là un ouvrage alerte et allègre, un ouvrage de passion, où par priorité il parle de ce qu’il a connu et de ce qu’il a aimé – et qu’il aime encore.

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Début 2015, Serge July publiait un Dictionnaire amoureux du Journalisme dans une collection bien connue. Le volume qui compte 150 articles ne pouvait se lire d’une traite. Nous y avons donc mis le temps, picorant ici et là au fil des jours,  tout en y prenant un réel plaisir. Sur l’univers multiforme de la presse, July donne là un ouvrage alerte et allègre, un ouvrage de passion, où par priorité il parle de ce qu’il a connu et de ce qu’il a aimé – et qu’il aime encore.

Illustration 1

L’auteur pousse même loin cet amour puisqu’il consacre un article à sa propre personne et puise non sans complaisance dans ses souvenirs de Libération. Mais ne commençons pas par lui chercher des poux. Après tout, il est celui qui a lancé Libé sous la houlette de Sartre et de quelques autres et en a dirigé la rédaction pendant de nombreuses années en deux époques. Et nous savons tous que ce quotidien aura été le plus inventif et le plus original dans la France de l’après-68 et de l’après-Gauche prolétarienne, groupe dont July fut un chef de file. Sur le rôle de cette Gauche, on lira l’article « Populismes-2 » sous-titré « Bruay-en-Artois » ; remarquable de franchise, il résonne en confession douloureuse sur le rôle joué à Bruay par les maos (July compris) et sur ce qu’impliquait une justice populaire foulant aux pieds la présomption d’innocence. 

Mais de quoi est fait ce dictionnaire qui ne se veut nullement encyclopédique et revendique la liberté de ses choix ? Les portraits de personnalités journalistiques s’y taillent une place importante. Si l’on fait un peu le tri, une chose est frappante : pour l’auteur, les héros de la presse sont en majorité américains et se sont illustrés dans le reportage. Et l’on aura ainsi droit au superbe John Reed comme à Michael Herr, à John Hersey, à Seymour Hersh et à Ernie Pyle, tous associés à des actes de contre-pouvoir et de liberté. Au bout, il y a bien sûr le New Journalism et l’affaire du Watergate dans un puissant chapitre scandant les faits.

D’autre part et comme en confirmation d’un vieux lieu commun, voulant que la presse française soit avant tout littéraire, les figures notables de cette dernière ici retenus sont majoritairement des écrivains et l’on aura droit à Dumas, Zola, Mauriac, Kessel, Camus, Sartre, Duras (beau texte sur la collaboration de celle-ci à Libé) – mais on n’aura curieusement rien sur la haute figure de Jules Vallès. Quant aux gens de presse proprement dits, ce sont pour Serge July des compagnons de route comme Jean-François Bizot (Actuel) et Cavanna (Hara-Kiri, puis Charlie). Entre « libéraux-libertaires », la connivence joue et l’on se fait signe.

Parmi les articles du volume les plus passionnants, les mieux nourris d’exemples aussi, on comptera ceux qui décrivent les techniques de presse. On s’étonnera à ce propos que le journalisme d’investigation n’y trouve pas sa place malgré un bon article sur Le Canard enchaîné. Et l’on se demandera pourquoi Mediapart est tout simplement ignoré en dépit de la place qui est désormais la sienne.

En revanche, l’auteur aime à s’attarder à quelques déviations dans lesquelles est parfois tombé le travail journalistique. Ainsi des « bidonnages » dont le plus énorme eut trait à la couverture de la Première Guerre Mondiale. Ainsi de la communication lorsqu’elle occulte ou obstrue l’information vraie. Ainsi du « lynchage médiatique » (s’il existe) ou de l’irrespect du « off the record ». L’article sur la connivence, qui porte en sous-titre « bourdieuseries », nous a chiffonné. Certes, Bourdieu n’aimait pas trop les journalistes. Et July, ça se voit, n’aime pas trop Bourdieu. Mais celui-là devrait au moins se souvenir que celui-ci a judicieusement pointé dans sa critique radicale de la télé la production néfaste d’« intellectuels médiatiques », ces intellectuels excellant par ailleurs dans le « renvoi d’ascenseur ».

Terminons par le somptueux portrait que l’auteur réserve à Jean-Paul Sartre et qui est d’une rare ferveur : « Je n’ai jamais rencontré un homme aussi libre et aussi généreux que Jean-Paul Sartre », écrit July à la page 800. Et de rappeler que Sartre fut le fondateur de Libération, qu’ il en inspira l’esprit et le style – un style écrit proche du parlé, qu’il vint au secours du journal quand il le fallut. On conçoit que l’auteur vénère ce vieil anarchiste de toujours, cet homme de tous les combats, la grande figure en somme du présent Dictionnaire amoureux.

Serge July, Dictionnaire amoureux du Journalisme, Paris, Plon, 2015. € 25.

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